L'ENERGIE GRISE ET LA PRISE EN COMPTE DU CYCLE DE VIE DES MATERIAUX 

Cet article fait suite à l'intervention de Jeanne Olléon [architecte Ingénieur] que nous avions invitée dans notre studio pour développer une conférence sur la thématique de l'énergie grise. Cette intervention avait pour objectif de sensibiliser le public, et le Collectif Saône, à l'emprunte écologique de nos choix constructif, afin de nous aider à concevoir des bâtiments plus respectueux de l'environnement, ou du moins avoir les clefs pour tendre à cet objectif.


 

Avec la mise en place des réglementations thermiques françaises (la première en 1974 suite au premier choc pétrolier, puis les suivantes en 1988, 2000, 2005 et 2012) et l’émergence des labels environnementaux, la tendance est à la réduction de la consommation énergétique des bâtiments dans leur usage (chauffage, climatisation, ventilation, éclairement, etc). La RT2020 devrait rendre obligatoire un bilan énergétique positif (produire plus d’énergie que n’en consommer) pour tous les logements neufs.

Maintenant qu’une dynamique s’est enclenchée sur cette première problématique, il est temps de réduire la consommation énergétique liée à la construction et la déconstruction des bâtiments.

 

L'EFFET DE SERRE ET LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

L’énergie solaire est absorbée à la surface de la Terre qui elle-même réémet cette énergie sous forme d’infrarouges. Les gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère interceptent les infrarouges émis par la Terre, ce qui permet l’effet de serre, bénéfique à la vie sur Terre. Les gaz à effet de serre sont naturellement présents dans notre atmosphère, principalement sous forme de vapeur d’eau (H2O) et de dioxyde de Carbone (CO2). 

A la contribution naturelle s’ajoute une contribution anthropique, par l’émission de gaz à effet de serre, dont le gaz carbonique représente plus de 55% et provient en majorité de la combustion des énergies fossiles (et dans un second temps de la déforestation[1] et d’autres industries par exemple lors de la décarbonatation qui accompagne la cuisson du calcaire et de l’argile au cours de la production de ciment). L’industrie et l’agriculture émettent également d’autres gaz à effet de serre tels que le méthane, les halocarbures, l’ozone, le protoxyde d’azote…

Pour uniformiser les valeurs d’impact des différents gaz à effet de serre, on les compare au CO2, gaz de référence, et l’unité utilisée est celle du kg équivalent CO2.

Lorsque ces gaz à effet de serre sont en trop grande quantité dans l’atmosphère, ils sont responsables de ce que l’on appelle le changement climatique (ce terme est plus adapté que celui de réchauffement climatique, il englobe ce phénomène complexe de façon plus globale).

Pour limiter l’impact grandissant de l’effet de serre sur le climat, il est important de réduire notre consommation en énergie fossile. Avant même de craindre la fin de ces ressources, nous devrions nous inquiéter de l’impact immédiat de leur combustion.

La consommation d’énergie grise contribue au changement climatique.

 

L’ANALYSE DE CYCLE DE VIE 

L’analyse de cycle de vie (ACV) permet d’appréhender de façon globale et sur le long terme, les problématiques environnementales. Dans la logique de l’ACV on prend en compte les différentes étapes du cycle de vie d’un produit, de l’extraction des matières premières à la fin de vie (éventuellement au recyclage), en passant par les procédés de transformation, de transport et de mise en œuvre. Elle s’appuie sur une approche multicritère et est encadrée par la norme européenne EN 15804.

Il est important de définir l’unité fonctionnelle étudiée, qui sert de base de comparaison entre des technologies qui peuvent être très différentes. Il est nécessaire de se baser sur la fonction, ou « service rendu » par l’unité, pour comparer des performances identiques. Par exemple pour comparer deux isolants, on compare des épaisseurs qui peuvent être différentes du moment que la performance thermique (U ou R) est la même.

 


Illustration ci-dessous : exemple du cycle de vie d'une menuiserie aluminium

  • Extraction de la beauxite
  • Transport depuis la mine
  • Raffinage, mise en forme, dans plusieurs sites différents
  • Acheminement jusqu'au chantier
  • Mise en place, vie en oeuvre, déconstruction
  • Evacuation des déchets
  • Recyclage ou fin de vie

Aujourd'hui l'aluminium recyclé est utilisé essentiellement dans l'agroalimentaire (i.e. canettes de sodas) ou l'industrie automobile, mais pas pour les matériaux de construction.

 

L’ENERGIE GRISE 

L’énergie grise est l’un des critères qui doit être mesuré pour effectuer une analyse de cycle de vie.

L’énergie grise est aussi appelée contenu énergétique car elle représente l’ensemble des énergies investies pour un produit au cours du cycle de vie. Le terme anglophone « embodied energy » (traduction littérale : énergie incarnée) est plus évocateur.

C’est la consommation énergétique globale, liée aux matériaux mis en œuvre, durant les différentes étapes du cycle de vie (en dehors de la consommation de chauffage, de climatisation, d’électricité…). Elle s’exprime en kWh ou en MJ et peut-être ramenée au m2 de SDP[2].

L’énergie grise consommée pour un matériau, un produit ou un service, peut-être d’origine renouvelable (solaire, éolien, hydraulique…) ou non renouvelable (combustibles fossiles).

 

COMMENT CONCEVOIR UN BÂTIMENT QUI CONSOMME MOINS D'ENERGIE GRISE ?

Plusieurs pistes s’ouvrent à vous :

Penser la géométrie et les espaces d’un bâtiment de façon à diminuer la quantité de matériaux à mettre en œuvre,
Concevoir l’espace pour qu’il accompagne facilement la mutation des usages, anticiper pour réduire les interventions sur le bâti au fil du temps,
Penser les calepinages ou les modes de pose pour diminuer les chutes et déchets inutiles,
Eviter d’utiliser des matériaux qui nécessitent beaucoup d’énergie pour leur extraction et leur transformation, par exemple les métaux,
Choisir des matériaux recyclés ou bio-sourcés (qui consomment moins d’énergie fossiles et qui peuvent permettre de stocker du CO2), et si possibles locaux,
Quand c’est possible favoriser le réemploi,
Favoriser la réparation plutôt que le remplacement systématique par du tout neuf,
Choisir des matériaux durables, qu’il ne faudra pas remplacer au bout de quelques années,

Malheureusement toutes ces pistes ne sont pas forcément compatibles entre elles, ou avec les autres composantes du métier de maître d’œuvre… Il faut donc avant tout prendre le temps d’avoir une vision globale et d’user de bon sens !

 
CONCLUSION

Le changement climatique est un phénomène complexe qui a de nombreuses conséquences, des variations climatiques (températures mais aussi précipitations et phénomènes extrêmes) qui viennent déstabiliser notre écosystème, à l’élévation du niveau des mers, en passant par l’acidification des océans. Le changement climatique est lié à la combustion des énergies fossiles.

Mais les problématiques environnementales ne se limitent pas au changement climatique. La pollution de l’air a par exemple un impact direct sur la faune, la flore, notre santé, notre agriculture… Même chose pour les déchets produits par notre mode de vie ou par l’activité du monde de la construction. Et la liste des sujets problématiques est bien longue.

Nous, acteurs du monde du bâtiment, devons au moins nous mobiliser sur les sujets qui nous concernent directement, à savoir l’impact du fonctionnement de chaque bâtiment ainsi que les matériaux et procédés de construction mis en œuvre.

 

JEANNE OLLEON

ARCHITECTE D. E. // INGÉNIEUR

 

 

RESSOURCES

LES BASES DE DONNEES

Voici deux bases des données ressources disponibles en ligne. Elles vous permettent d'estimer l'énergie gris d'un matériau ou d'un projet.

INIES : c’est la base française de référence, celle des FDES, Fiches de déclaration environnementales et sanitaires cf. NF P01-010 et EN 15804 

Périmètre d’étude : cradle to grave, littéralement : du berceau à la tombe, donc de l’extraction des matières premières à la fin de vie du bâtiment.

Hypothèses : l’énergie étudiée est l’énergie primaire totale qui est la somme de la consommation en énergie renouvelable et en énergie non renouvelable, de même que c’est la somme de la consommation en énergie matière et en énergie procédé[3]. L’énergie primaire totale au sens de la base d’INIES est donc une donnée peu significative, mais il est possible d’isoler l’énergie procédé (renouvelable + non renouvelable) en rentrant dans les détails de la FDES. Il n’est pas possible d’isoler l’énergie procédé non renouvelable, par exemple.

KBOB : c’est une base de données suisse fiable, soumise à plusieurs cahiers techniques de la SIA, Société Suisse des Ingénieurs et des Architectes. 

Périmètre d’étude : spécifique : attention, ces données ne prennent pas en compte le transport des produits depuis le lieu de fabrication jusqu’au chantier, leur pose et leur entretien mais elles prennent en compte la démolition et le recyclage le cas échéant.

Hypothèses : l’énergie étudiée est l’énergie primaire globale (renouvelable et non renouvelable) d’une part et l’énergie primaire non renouvelable d’autre part. Puisque c’est une base de données suisse, elle s’appuie sur une répartition renouvelable/non renouvelable propre au mix énergétique suisse.

Il existe de nombreuses autres sources, mais avant de les utiliser il faut toujours identifier le périmètre d’étude et les hypothèses.

LES OUTILS QUI PEUVENT FAIRE LE CALCUL POUR VOUS (OU PRESQUE)

ELODIE développé par le CSTB, s’appuie sur la base INIES ;
COCON édité par Luc Floissac et Laure Fernandez ;
E-LICCO développé par Cycleco, le conseil régional de Bourgogne et l’ADEME ;
EQUER développé par IZUBA et ARMINES s’appuie sur la base EcoInvent ;

Ces outils sont payants, mais généralement il existe une version de démonstration gratuite. Encore une fois, avant de vous en servir vérifiez les hypothèses et les bases de données sur lesquelles ils s’appuient. Un calcul de la consommation en énergie grise ne s’improvise pas.

SITOGRAPHIE

Le site internet de Jean-Marc Jancovici permet de comprendre facilement les phénomènes physiques de l’effet de serre et du changement climatique, et donne un regard subjectif mais scientifique et honnête sur les différentes problématiques (par exemple l’auteur est pro-nucléaire et ne s’en cache pas) : www.manicore.com

L’ICEB et l’ARENE ont piloté en 2012 la rédaction d’un guide sur « l’énergie grise des matériaux et des ouvrages » qui revient sur les définitions importantes, informe sur plusieurs études menées pour mesurer l’énergie grise des bâtiments et développe plusieurs clés pour réduire la consommation en énergie grise www.asso-iceb.org/wp-content/uploads/2014/07/guide_bio_tech_lenergie_grise_des_materiaux_et_des.pdf

Pour les problématiques plus globales, ou politiques, liées à l’énergie voir les sites www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr  www.ademe.fr  www.developpement-durable.gouv.fr

BIBLIOGRAPHIE

La poubelle et l’architecte, Jean-Marc Huygen, Actes Sud, Paris, 2008.

Construire autrement, Patrick Bouchain, Actes Sud, Paris, 2006.

Matière grise, exposition au Pavillon de l’Arsenal et publication associée.

 

CONFÉRENCE : 1er octobre 2015

Studio du Collectif Saône

43 quai Saint Vincent

69 001 LYON

 


[1] Les forêts sont ce qu’on appelle des puits de carbone, des lieux où le carbone est stocké sous forme solide plutôt que diffus dans l’atmosphère.

[2] Surface de plancher.

[3] Pour plus d’informations sur ces 4 types d’énergie, voir par exemple les définitions de l’ALE (Agence Locale de l’Energie de l’agglomération lyonnaise), en bas de la page 3 : http://www.ale-lyon.org/IMG/pdf/eie_energiegrise.pdf

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